Illusion et réalité
(Extraits d'une réflexion de l'Artiste sur sa peinture, parue dans "Eindrücke" de février 1981).
Depuis la Renaissance, le tableau se comprend comme une coupe verticale dans le faisceau visuel. Les objets présentés sur sa surface coïncident optiquement avec les objets tels qu'ils se présentent dans la réalité; on engendre ainsi l'illusion d'une interprétation réaliste et véridique des dits objets. Tout en adoptant ainsi un "style/ fenêtre" qui confine le réel dans ses limites, le tableau révèle derrière l'écran/surface un espace/illusion qui lui donne un caractère de profondeur. Il découle alors de cette perception un évènement pictural qui se déroule derrière la surface/image. En ce qui me concerne cette perspective illusoire dégage une impression d'irréel qui me met mal à l'aise. Il me fallait donc créer une démarche qui éliminât totalement cet espace/illusion, démarche qui conduit forcément à la compréhension sculpturale de l'espace et qui donne au tableau un "caractère objet".
L´utilisation sculpturale de l'espace enlève au tableau ce caractère "fenêtre" et entraîne sa décomposition vers le bi, voire tri-dimensionnel:
bi-dimensionnel par le démembrement de la surface/image, tri-dimensionnel par l'emploi de châssis d'épaisseurs différentes. Il en résulte une nouvelle qualité de l'espace qui devient un élément constitutif du tableau.
En même temps se pose la question ~ dans le tableau traditionnel c'est le format qui définit la limite, strictement conditionné par sa "flnalité/découpe". L'évènement pictural se déroule dans un cadre pré-défini, distinctement délimité et rigoureusement étranger à son environnement.
En décomposant le tableau en Diptyque, Triptyque ou Polyptyque, la surface matérielle de l'image ne définit plus le format qui est amplifié par l'intégration de l'espace réel, de l'environnement; le mur perd son caractère de cimaise pour devenir un élément agissant et constitutif de l'œuvre; inversement les différents éléments du tableau adoptent un caractère d'objet et gagnent une nouvelle qualité volumétrique et sculpturale.
L'utilisation de châssis épais crée une profondeur de champ encore plus accentuée entre la surface du tableau et le mur, par l'additif de châssis d'épaisseurs différentes, qui font naître entre les diverses surfaces des divergences spatiales sensibles.
Le caractère d'objet du tableau est encore renforcé du fait que les rebords entrent dans la peinture: fréquemment les traçages colorés y commencent et finissent, passant d'un flanc à l'autre.
L'emploi des couleurs recrée le problème de l'illusion/espace. En effet leur identité propre leur confère une qualité de profondeur qu'il est important, en fonction de leur comportement spécifique, de contrôler lors de leur application sur la surface/plan verticale.
Le tarissement progressif du débit du pinceau, des fragments de traits, l'écoulement vertical de la peinture, la translucidité de la toile non apprêtée sont autant d'indices accentuant la compréhension de l'œuvre; il en est de même de l'application des couleurs par couches successives transparentes produisant de subtiles variations d'intensité dans les tonalités.
L'événement/espace se déroule alors devant la toile et à sa surface et non derrière elle.
Ma perception de l'image et mon aversion des effets d'illusion déterminent la forme et les moyens d'expression de ma peinture qui se traduisent par surfaces et rayures. L'ordonnancement et la combinaison de ces surfaces et rayures entre elles, mais aussi entre elles et le tableau, et par conséquent le mur et l'espace concret, créent des problèmes précis d'identité, quant à la relation format/peinture
Des tensions prennent naissance entre la peinture et les données - format et panneau - et, selon leur emploi, il peut en résulter entre elles une concordance/identité semblable à celle du "shaped canvas ", ou une discordance.
Dans mes travaux de 1977 à 1980, l'image est décomposée et j'intègre dans mes tableaux l'environnement concret; il en découle une intervention plastiquement sculpturale provenant de l'utilisation de l'espace réel.
Depuis 1980 ma démarche reste identique, tout en inversant le procédé par l'additif de Masses et de Volumes. Cet effet est encore renforcé par l'épaisseur importante du châssis de l'image centrale et par l'application de monochromes.
Par ma démarche j'essaie de créer une expression picturale qui reflète sa signification propre, mais aussi sa relation réalité/réalisme avec le monde qui nous environne.
Godwin Hoffmann, 1981, (Traduit de l'allemand)
Dessin
Dans les derniers temps, le public a souvent comparé mes "dessins au fusain" avec des dessins de sculpteur. De fait, mon travail pictural m'a conduit à abandonner le tableau (dans le sens du panneau peint) pour le décomposer; le fractionner et en dégager une tridimensionnalité concrète. Malgré cette démarche artistique de sculpteur; j'ai continué de croire que mon travail est de la peinture et que les couleurs ont un rôle dominant à jouer. Il existait toujours des indications du procédé pictural, particulièrement visible au bord du tableau, où la peinture s'arrête et où commence la réalité environnante.
Le dessin comme affrontement direct de la réalité et de la nature m'ayant toujours été facile, j'ai, par méfiance pour cette facilité, tenu à m'imposer une difficulté, une résistance.
C'est ainsi que pour mes travaux actuels, j'utilise un matériau archaïque, le fusain, sous forme de carré de mine. Sur la feuille, le champ d'intervention graphique est clairement défini et limité : la composition et la largeur des bandes programmées, les lignes de construction restent visibles, les erreurs éventuelles n'étant ni éliminées ni corrigées. J'attache beaucoup d'importance aux traces de la naissance du dessin. L'œuvre n'est pas seulement un produit fini et définitif mais montre au spectateur sa conception et sa genèse.
Après l'étape préparatoire se déroule le "sertissage" en fusain, terme qui me semble justifié bien qu'il désigne la pose de la couleur sur des objets. Le fusain est appliqué en couche meuble sur les surfaces et les bandes puis frotté avec les doigts pour pénétrer intimement le papier. Cette tache doit être effectuée à main nue et demande un engagement du corps. L'humidité et la chaleur du bout des doigts contribuent sûrement au résultat obtenu : un noir très épais qui semble absorber toute la lumière, un noir qui prétend à l'absolu.
Malgré la précision de la préparation (qui inclut des esquisses miniatures), le processus de dessin ne suit pas une organisation systématique, l'œuvre avançant peu à peu vers un ensemble et conservant les traces de l'application du matériau et de son façonnement. Une foule de petits gestes demeure perceptible et la poussière de fusain produite lors du travail est conservée par le fixatif sur le papier. De même, pour les surfaces nettement délimitées sur le côté, les traces d'essuyage laissent sensible le recours au carton et à la règle utilisés pour les découpes. Essuyer et frotter le matériau, c'est l'acte essentiel qui donne la forme. Une immédiateté naît et persiste entre le support, le matériau et moi-même, rapport direct empêché jusqu'alors par les outils pinceau, crayon, etc.
Singulièrement, mon évolution artistique a été déterminée par la distance et l'abstraction. Comme les réflexions que je fais sur mon œuvre sont toujours de nature très abstraite et formulées en un langage impersonnel, ce changement en faveur de l'immédiateté me surprend moi-même. D'une part, le spirituel persiste : ma recherche de vérité et de connaissance, héritée sans doute de mon éducation, motive mon œuvre; il y a aussi, d'autre part, la recherche de l'élémentaire, de l'origine et peut-être également de la nature, de la sensualité et du toucher. Cette forme de travail est une exigence totale.
Godwin Hoffmann
Automne 1994